SYMPOSIUM PATRIMOINE HYDRAULIQUE, CANAUX ET IRRIGATION GRAVITAIRE

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Publié le 14 avril 2025 Mis à jour le 16 avril 2025
Date(s)

du 28 avril 2025 au 30 avril 2025

Lieu(x)

Université Côte d'Azur, Campus Saint Jean d'Angely

Nice - Saint-Martin-Vésubie
Salle plate RDC, à la MSHS, Campus Saint-Jean d'Angély
Salle128/129 1er étage, à la MSHS, Campus Saint-Jean d'Angély
Roquebillière
Salle Jean Grinda, Vésubia
Affiche
Affiche

SYMPOSIUM PATRIMOINE HYDRAULIQUE, CANAUX ET IRRIGATION GRAVITAIRE Les enjeux de l’eau et de l’irrigation en Méditerranée Trois journées d'échanges à propos des enjeux économiques, écologiques, sociaux et patrimoniaux liés à la sauvegarde de l'irrigation traditionnelle pour les communautés méditerranéennes : le Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés (LIRCES) UPR 3159, Université Côte d'Azur invite des chercheurs internationaux de renom à partager leurs dernières connaissances avec les praticiens autour de conférences, tables rondes et visite sur le terrain en vue de définir et écrire ensemble la première charte méditerranéenne des bonnes pratiques du système d'irrigation traditionnelle.

contact : toufik.ftaita@univ-cotedazur.fr

LIRCES : +33 4 89 15 19 37


La maîtrise de l’eau et des savoirs techniques pour l’édification des aménagements hydrauliques a contribué à l’émergence de plusieurs civilisations dans l’espace méditerranéen. L’expansion des cultures ont été aussi des moments non seulement de contacts mais aussi de diffusion technologique notamment dans le domaine de l’eau. Après la disparition de l’empire romain, l’hydraulique arabe a bénéficié des technologies anciennes et a pu s’amplifier et se répandre (comme en Espagne musulmane) grâce au développement des sciences (FTAÏTA, 2010). On pouvait alors parler d’une civilisation des eaux cachées révélant la maîtrise des techniques d’aménagement des galeries souterraines drainantes amenant l’eau
sur plusieurs kilomètres. Le mathématicien Al-Kharaji, en l’an 1015 publia un ouvrage majeur, le traité Inbat al-miyah al-khafiya (« La Civilisation des eaux cachées ») soulignant ainsi
l’apport des sciences ainsi que la maîtrise des eaux souterraines (AL-KHARAJI, 1973). En effet, la maîtrise de l’eau, tant superficielle que souterraine, a permis de développer une agriculture irriguée permanente ou saisonnière dans les régions au sud du bassin méditerranéen.

Au nord du bassin méditerranéen, le regain de l’irrigation est le résultat de l’essor des monastères des Cisterciens, une branche des Bénédictins. Les Cisterciens développèrent une culture de l’irrigation qui s’est répandue à mesure de leur propre expansion sur une grande partie du continent européen. Ces moines ont amélioré les réseaux existants et ont introduit les moulins, les forges et les scieries. Du XIIe au XIVe siècle, l'Europe est marquée par un essor démographique important, des températures en augmentation et un besoin alimentaire accru. De cette fin du XIVe siècle datent les grands canaux de Briançon (Guillestre), les Bisses de Ausseberg (Valais, Suisse) et les canaux de Vinschgau (Tyrol du sud, Italie). Sur le pourtour méditerranéen, la fonction première de l’irrigation demeura cependant celle de permettre aux communautés de cultiver leurs terres malgré les périodes de sécheresse alternées avec celles d’importantes précipitations.

En maîtrisant les ressources hydrauliques superficielles mais aussi souterraines, en amenant l’eau de très loin par des canaux construits et régulièrement réhabilités, les communautés des montagnes comme celles des plaines ont façonné le paysage de leur terroir. Pour exploiter les terroirs incultes, ces sociétés ont dû mettre en oeuvre des connaissances et développer des savoir-faire techniques et agronomiques originaux impliquant des notions juridiques appropriées. Au nord comme sud du bassin méditerranéen, elles ont dû s’adapter et innover pour faire face aux aléas climatiques (sécheresse ou abondance de l’eau) et aux évolutions de la société (économique et démographique), tout en assurant une « juste » répartition de la ressource. Le patrimoine hydraulique méditerranéen se caractérise par une large panoplie de techniques et une grande diversité des modes de gouvernance issus de l’histoire sociale et politique de chaque communauté. 

Aujourd’hui, toutes les collectivités de la Méditerranée connaissent une forte tension autour de la ressource Eau et de sa gestion, avec une intensité variable selon les régions. En rive sud de la Méditerranée, l’agriculture constitue le premier secteur consommateur d’eau, soit 80 % des ressources disponibles alors qu’en rive nord côté France, ce sont les villes côtières qui sont les premières consommatrices. Il en va de même en Espagne ou au Maroc, où les réseaux complexes des canaux constituent encore le seul outil pour maintenir l’économie agricole de nombreuses communautés locales. Par contre, dans les Alpes-Maritimes (France), ces mêmes réseaux sont aujourd’hui quasiment à l’abandon, comme le sont les terrasses de culture qu’ils irriguaient dans les vallées de l’arrière-pays. Ils sont réduits au rang de témoins d’un mode de vie et d’une organisation sociale et économique disparus. Malgré ce constat pessimiste, l’irrigation traditionnelle continue à y être pratiquée résiduellement. Les communautés humaines restent attachées à leurs territoires, à leur eau, à leurs canaux. Elles leurs attribuent une forte valeur patrimoniale culturelle. Mais aussi le pouvoir de sauvegarder leur patrimoine naturel et de développer à nouveau des agricultures traditionnelles dans l’esprit de l’ODD 2.4 

Pourtant, en France comme dans tous les pays de la rive nord de la Méditerranée, la tendance est au désengagement de l’État et à la disparition progressive de nombreux canaux d’irrigation gravitaire. Dans le meilleur des cas, les techniques d’irrigation sont modernisées, passant du collectif gravitaire à l’individuel au goutte-à-goutte. Dans le pire, ces canaux sont tout simplement abandonnés. Sur la rive sud, la tendance est plutôt à la délégitimation des modes d’organisation et de gouvernance collectifs des ressources en eau dans un même contexte de modernisation des techniques d’irrigation avec l'aménagement massif du goutte-à-goutte. Cette nouvelle pratique réduit à néant les solidarités collectives traditionnelles et génère une pression sans précédent sur les ressources souterraines en eau, sollicitées à outrance pour répondre à l’augmentation des besoins des cultures commerciales, certes plus rentables économiquement mais bien plus consommatrices d’eau.

De part et d’autre de la Méditerranée occidentale, on constate parfois une volonté visant l’accaparement de la ressource Eau, alors qu’il s’agit d’un bien commun fondamental à la vie
de tout écosystème. Le contexte d’aridité des territoires concernés, soumis aux changements climatiques (sécheresses qui durent et précipitations dévastatrices lorsqu’elles surviennent)
intensifie cette volonté d’accaparement. Il en nait parfois des conflits d’intérêts entre les différents acteurs. Sources ou bassins versants, qui permettent l’alimentation en eau, ont
pourtant besoins d’être résilient, sain et équilibré. 

Cette pression se fait plus intense lorsque le territoire est urbanisé et peuplé d’infrastructures modernes de transport et de production d’énergies. L’impact négatif principal est la disparition des espaces irrigués periurbains et la fragmentation des paysages naturels. Si nous constatons, quel que soit le lieu analysé, une forte pression sur la ressource en eau suivant les usages locaux, nous observons également la mobilisation des communautés locales visant à reconquérir leurs droits d’eau et revitaliser leurs territoires. Comment accompagner ces communautés locales ? Comment participer à valoriser ce patrimoine hydraulique en montrant, quand cela est nécessaire, la nécessité de maintenir ces canaux à irrigation gravitaire? De nombreux spécialistes reconnaissent aujourd’hui leurs bienfaits environnementaux : recharge des nappes souterraines, protection contre les inondations (drain naturel), maintien d’une biodiversité aujourd’hui menacée…

Les savoirs et savoir-faire originaux en termes techniques, agronomiques et juridiques qui ont été inscrits comme patrimoine culturel immatériel dans l’inventaire national le 20 juin 2024
répondent à une pratique vivante qui a évolué. Aujourd’hui comme hier, ils devront sans doute être réinventés pour répondre aux défis que nos sociétés contemporaines rencontrent. Les enjeux liés à la ressource en eau sont tels que nous avons besoin de nous inspirer des différents modèles et pratiques respectueuses de l’environnement réalisés par les communautés locales confrontées à leurs réalités de terrain. Cette évolution devra être réalisée dans le souci de maintenir des équilibres nécessaires entre ressources et prélèvements et par conséquent prendre en compte la relation société et environnement. 

Ce symposium a pour vocation d’aller plus loin qu’une simple comparaison entre avant et après; plus loin que le simple témoignage de l’histoire d’un patrimoine culturel immatériel et de sa commémoration. Il a pour vocation, face à l’urgence de la situation, de jeter de nouvelles bases et faire émerger des leviers d’actions. Elle pourront rendre à ce patrimoine culturel le rôle de moteur qu’il possédait dans les sociétés méditerranéennes en pérennisant ses pratiques dans le nouveau contexte social, climatique et économique. C’est pour cette raison que le symposium se propose de confronter des chercheurs experts internationaux et des praticiens. Ensembles, ils feront progresser la connaissance des systèmes hydrauliques traditionnels dans une perspective trans-disciplinaire et holistique afin d’identifier des pratiques vertueuses en matière de durabilité. Ces dernières pourront ainsi être transmises à tous ceux qui entretiennent des relations d’usages avec l’eau et les réseaux d’irrigation traditionnelle.

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